Une immersion dans le XIXe siècle
Les aérostats dirigeables
Cette page fait suite à l’article: Le grand ballon captif de M. Giffard (http://www.surrealites.com/?p=5798)
[…] Les habitants de Paris, étroitement bloqués par les Prussiens, dans leur enceinte de pierre, et privés de tout moyen de sortie par les routes de terre ou de rivière, n’eurent, pendant de longs mois, d’autre moyen de communiquer avec le reste de la France que la voie de l’air et l’expédition de ballons montés. Mais il aurait fallu pouvoir diriger à son gré les globes aérostatiques, pour les lancer hors de la ville assiégée, et les faire revenir ensuite, par la même voie, à leur point de départ.
On se flatta, pendant les premières semaines du siège, que le ballon dirigeable allait surgir, et donner le moyen d’arracher la garnison et les habitants de la capitale à leur désastreux isolement. Quand on se rappelait que depuis la fin du dernier siècle, mille cerveaux s’étaient mis en ébullition à la poursuite de cette idée […]
Hélas! quelle déception ! quelle amère et triste dérision ! De tous ces hommes qui, depuis si longtemps, fatiguaient le public, l’Académie et les Sociétés savantes de leurs élucubrations, aucun ne put produire le plus faible échantillon de son savoir, ni de son pouvoir. Pendant les premiers mois du siège de Paris, l’Académie des sciences, ainsi que les comités scientifiques […] furent, il est vrai, assaillis de toutes sortes de projets de navigation aérienne […] Mais aucun de ces projets ne contenait une idée sérieuse.[…]
Il fallut donc renoncer à l’espoir de faire partir de Paris des ballons dirigeables, la seule chance de salut qui restât aux assiégés. On dut se borner à organiser les départs de ballons, que l’on lançait quand le vent était favorable. Montés par un homme déterminé, les aérostats s’en allaient, à la garde de Dieu, tombant tantôt dans les lignes prussiennes, tantôt dans des localités sûres, d’autres fois, hélas! allant se perdre dans la mer. Il en est plus d’un dont le sort est resté un secret entre Dieu et les infortunés passagers. […]
C’est à la gare d’Orléans que fut établi, sous la direction d’Eugène Godard, le premier atelier pour la construction des ballons. La gare du chemin de fer du Nord servit bientôt au même travail, sous la direction de MM. Yon et Camille d’Artois. Pendant le siège, toutes les gares de chemins de fer étaient nécessairement vides. Ces immenses espaces reçurent les ouvriers chargés de la construction des ballons, et servirent de magasins pour ces énormes globes de soie, au fur et à mesure de leur fabrication. […]
Le fonctionnement certain et facile de la poste aérienne avait été démontré par les quatre premiers voyages exécutés dans le premier mois du siège. C’est le 7 octobre que commença la série des ascensions avec des ballons neufs. La première devait laisser un grand souvenir dans l’histoire de la guerre francoallemande. C’est, en effet, le7 octobre 1870, que Gambetta, Ministre de l’intérieur, quitta Paris, en ballon, pour aller organiser en province la défense nationale. […] 51 ballons ont enlevé dans les airs 64 aéronautes, 91 passagers, 363 pigeons voyageurs, et 9 000 kilogrammes de dépêches, représentant à peu près 3 millions de lettres particulières. Sur ce nombre considérable d’aérostats, cinq seulement tombèrent au pouvoir des Allemands. Deux se sont perdus en mer corps et biens.[…]
Pendant que ces événements se poursuivaient, les ingénieurs retenus dans la capitale continuaient leurs recherches pour la construction d’un appareil aérien dirigeable. […]
Dupuy de Lôme, l’ingénieur éminent à qui la France doit la création des bâtiments cuirassés, s’occupait, depuis l’investissement de Paris, à essayer de construire un aérostat dirigeable. Lorsqu’il en communiqua les plans à l’Académie, ce corps savant en comprit toute la valeur, et demanda au gouvernement les fonds nécessaires pour parachever l’édifice aérostatique commencé par Dupuy de Lôme. Le célèbre ingénieur de marine avait construit un aérostat de soie vernie, d’une forme ovoïde allongée. […] L’appareil chargé d’imprimer le mouvement à l’équipage aérien, était fixé à la nacelle du ballon. Mais quel était ce moteur? Une simple hélice, de 8 mètres de diamètre. Un travail de 30 kilogrammètres, exécuté par cette hélice, devait produire une vitesse de deux lieues à l’heure, dans une direction voulue. Quelle faible idée cela ne donne-t-il pas des ressources dont aurait disposé l’esquif aérien!
« En présence de cette puissance motrice, disait Dupuy de Lôme, il m’a paru avantageux de ne pas recourir à une machine à feu quelconque, et d’employer simplement la force des hommes. Quatre hommes peuvent sans fatigue soutenir pendant une heure, en agissant sur une manivelle, le travail de 30 kilogrammètres, qui n’exige de chacun d’eux que 7 kilogrammètres, 5. Avec une relève de deux hommes, chacun d’eux pourra travailler une heure, se reposer une demi-heure, et ainsi de suite, pendant les dix heures du voyage. »
Le ballon était pourvu d’un gouvernail placé à l’arrière, afin de pouvoir s’orienter. Le gaz adopté n’était pas l’hydrogène, mais simplement le gaz d’éclairage. L’aérostat adopté par Dupuy de Lôme différait peu de celui qui avait été expérimenté, en 18o2, par Giffard. […] Giffard avait osé emporter au sein des airs une machine à vapeur, tandis que Dupuy de Lôme craignant, non sans raison d’ailleurs, la présence d’un foyer dans le voisinage d’un gaz inflammable, s’était contenté de la force des hommes. Il est probable que l’appareil de Dupuy de Lôme, ne disposant que de la force humaine, serait resté insuffisant pour réaliser la direction, s’il avait eu à lutter contre la plus faible brise.
Dans tous les cas, on n’eut pas à s’en assurer pendant le siège, car les travaux pour la construction de l’aérostat ayant traîné en longueur, la guerre se termina avant que l’appareil de Dupuy de Lôme pût s’élancer dans les airs, et montrer sa valeur.
Après la guerre, Dupuy de Lôme continua ses études sur son aérostat dirigeable. Il en fit l’expérience défînitive, le 2 février 1871, après l’armistice. […] La forme de ce ballon, comme le montre la figure 511, est celle d’un oeuf ou d’un ellipsoïde allongé. Sa longueur est de 36 mètres, son plus grand diamètre de 14 mètres, et son volume de 3 430 mètres. Il est porteur d’une nacelle de 6 mètres de long, et de 3 mètres de large, au maximum. Cette nacelle est munie d’une hélice à deux pas seulement; le diamètre de cette hélice est de 9 mètres et son pas de 2 mètres.
Pour prévenir les déformations du ballon qui amèneraient une application défavorable de la poussée de l’air, on maintient son volume invariable en plaçant à son intérieur, comme l’avait fait Meunier, dès l’année 1786, un petit ballon, ou ballonnet., que l’on pouvait gonfler à volonté en injectant de l’air dans sa capacité, au moyen d’une pompe à air.
L’aérostat est entouré de deux filets : le filet porteur de la nacelle, et le filet dit des balancines, qui a pour but de maintenir la stabilité constante de la nacelle, quelle que soit l’inclinaison que le vent imprime à l’aérostat, ou du moins si cette inclinaison ne dépasse pas 20° ce qui n’est pas à prévoir. L’hydrogène pur, et non le gaz d’éclairage, fut employé dans cette expérience, pour remplir le ballon; ce qui lui donnait une puissance ascensionnelle considérable, sans exiger un grand volume. Le gaz hydrogène avait été obtenu par l’action de l’acide sulfurique étendu sur la tournure de fer.
Le moteur employé pour faire agir l’hélice était, avons-nous dit, la force humaine. Le ballon s’élança, par un vent assez fort. Quatorze personnes le montaient : Dupuy de Lôme ; M. Yon, expert en aérostation; M. Zédé, capitaine de frégate ; plus trois aides et huit hommes d’équipage, employés à faire mouvoir l’hélice. Le poids total du ballon et de son chargement, y compris les quatorze passagers et 600 kilogrammes de lest, était de 3 800 kilogrammes.
Le but de l’ascension, c’était de s’assurer si l’aérostat obéirait à l’action de l’hélice et du gouvernail, dans le sens voulu et prévu.
Voici, d’après le mémoire de l’auteur, ce qui fut obtenu. Dès que l’hélice était mise en mouvement, l’influence du gouvernail se faisait sentir, et l’aérostat suivait une direction qui, calculée sur la direction du vent, prouvait que le ballon avait un mouvement propre. La vitesse de ce mouvement propre aurait été, selon Dupuy de Lôme, de 40 kilomètres par heure, c’est-à-dire à peine le double de la marche d’un homme à pied, vitesse bien médiocre, on le voit. […] La descente se fit avec une facilité extraordinaire, sans secousse, ni trainée sur le sol. La stabilité de la nacelle fut le fait le plus remarqué. Les oscillations du ballon ne se transmettaient aucunement à la nacelle. Pendant toute l’ascension, on pouvait aller et venir sur ce plancher mobile, comme sur la terre ferme. […]
La seule critique à adresser à l’appareil dirigeable proposé par Dupuy de Lôme s’applique au genre de moteur adopté par lui. On ne peut se contenter de la simple force de l’homme, embarqué comme agent moteur. La force humaine opposée à la puissance du vent, c’est la mouche qui voudrait braver la tempête. Un tel moyen a pu suffire pour les premières manoeuvres d’essai de l’aérostat de Dupuy de Lôme, mais il serait impossible de se contenter d’un tel agent de force. Il faut emporter dans les airs un moteur digne de ce nom.
Après la belle tentative de Dupuy de Lôme, […] est venue l’entreprise, très originale, due à MM. Gaston et Albert Tissandier, d’appliquer le moteur électrique à la propulsion des ballons. […]
La découverte de l’accumulateur électrique par M. Gaston Planté, et les applications qu’avait déjà reçues la pile secondaire, donnèrent l’idée à MM. Gaston et Albert Tissaadier d’appliquer à la marche des aérostats les accumulateurs, qui, sous un poids relativement faible, emmagasinent une grande somme d’énergie. Une pile accumulatrice actionnant une petite machine dynamo-électrique, attelée à l’hélice propulsive d’un aérostat, offre certains avantages. Le moteur électrique fonctionnant sans aucun foyer supprime le danger du voisinage du feu sous une masse d’hydrogène, si l’on emploie une machine à vapeur. Son poids est constant ; car il n’abandonne pas à l’air, comme la chaudière à vapeur, des produits de combustion, qui délestent sans cesse l’aérostat, et tendent à le faire élever dans l’atmosphère. Enfin, il se met en marche ou s’arrête avec une incomparable facilité, par un simple commutateur.
Le mignon aérostat que M. Gaston Tissandier avait construit, pour servir de modèle, et que l’on voyait à l’Exposition d’électricité de 1881, était de forme allongée, et se terminait par deux pointes. Il n’avait que 3m, 50 de longueur, sur 1m,30 de diamètre, au milieu. Le volume total de cet engin n’était que 2 200 litres environ. Gonflé d’hydrogène pur, son excédent de force ascensionnelle n’était que de 2 kilogrammes. […]
MM. Gaston et Albert Tissandier n’avaient, disons-nous, présenté à l’Exposition d’électricité de 1881, qu’un diminutif de ballon, un simple modèle. En 1883, ils construisirent un aérostat de dimensions suffisantes pour emporter deux personnes ; et le 8 octobre ils procédaient à l’expérience du nouveau véhicule aérien.
L’aérostat électrique dirigeable de MM. Gaston et Albert Tissandier, que représente la figure 512, a la même forme que ceux de GifTard et de Dupuy de Lôme, c’est-à-dire la forme ellipsoïde. Il a 28 mètres de longueur, de pointe en pointe, et 9m, 20 de diamètre au milieu. La forme allongée en fuseau est, paraît-il, la plus convenable pour vaincre la résistance de l’air. Il est muni, à sa partie inférieure, d’un cône d’appendice, terminé par une soupape automatique. […]
Ainsi, le poids du matériel fixe est de 704 kilogrammes, auxquels il faut ajouter les poids des deux voyageurs, avec instruments (150 kilogrammes), ainsi que le lest enlevé (386 kilogrammes). En tout, 1 240 kilogrammes. […]
Nous représentons dans la figure 514 la pile au bichromate de potasse qui produisait le courant électrique. […] Elle pesait 56 kilogrammes. On voit cette machine […], sur la figure 514. […] La pile est au fond de la nacelle.
Le 8 octobre 1883, le gonflement du ballon s’effectua en moins de 7 heures. A 3 heures 20 minutes, les voyageurs aériens s’élevèrent lentement, par un vent faible de E.-S.-E. A 500 mètres de hauteur, la vitesse de l’aérostat était de 3 mètres par seconde (1 kilomètre par heure).
Quelques minutes après le départ, la batterie de piles fonctionna. […] Au-dessus du bois de Boulogne, quand le moteur fonctionnait à grande vitesse, la translation devint appréciable : on sentait un vent frais, produit par le déplacement de l’aérostat. Quand le ballon faisait face au vent, sa pointe de l’avant étant dirigée vers le clocher de l’église d’Auteuil, voisine du point de départ, il tenait tête au courant aérien et restait immobile. Malheureusement les mouvements ne pouvaient être maîtrisés par le gouvernail. En coupant le vent dans une direction perpendiculaire à la marche du courant aérien, le gouvernail se gonflait, comme une voile, et les rotations se produisaient avec beaucoup plus d’intensité. Le moteur ayant été arrêté, le ballon passa au-dessus du mont Valérien. Une fois qu’il eut bien pris l’allure du vent, on recommença à faire tourner l’hélice, en marchant avec le vent. La vitesse de translation s’accéléra alors ; l’action du gouvernail faisait dévier le ballon à droite et à gauche de la ligne du vent. La descente s’opéra à 4 heures 1/2, dans une grande plaine avoisinant Croissy-sur- Seine. L’aérostat resta gonflé toute la nuit, et le lendemain il n’avait pas perdu de gaz. […]
Après l’aérostat dirigeable de MM. Gaston et Albert Tissandier, est venu un appareil à peu près semblable, mais qui a fait beaucoup plus de bruit dans le monde scientifique et extra-scientifique. Nous voulons parler de l’appareil de deux capitaines de Meudon, MM. Renard et Krebs.[…]
C’est le 9 août 1884 que l’aérostat de l’Ecole de Meudon s’élevait dans les airs, poussé par un moteur électrique. Il monta, par un temps calme, à une hauteur de 300 mètres environ.[…]
Le voyage aérien du 9 août 1884 a été raconté par les voyageurs eux-mêmes, dans une communication faite à l’Académie des sciences, dans la séance du 18 août. Nous croyons devoir citer textuellement ce récit: « A 4 heures du soir, disent les auteurs, l’aérostat de forme allongée, muni d’une hélice et d’un gouvernail, s’est élevé, en ascension libre, monté par MM. le capitaine du génie Renard, directeur des ateliers militaires de Chalais, et le capitaine d’infanterie Krebs, son collaborateur depuis six ans. Après un parcours total de 7 kilomètres 600 mètres, effectué en vingt-trois minutes, le ballon est venu atterrir à son point de départ, après avoir exécuté une série de manoeuvres avec une précision comparable à celle d’un navire à hélice évoluant sur l’eau. La solution de ce problème, tentée déjà en 18oo, en employant la vapeur, par H. Giffard, en 1872 par M. Dupuy de Lôme, qui utilisa la force musculaire des hommes et enfin l’année dernière par M. Tissandier, qui le premier a appliqué l’électricité à la propulsion des ballons, n’avait été jusqu’à ce jour que très imparfaite, puisque dans aucun cas l’aérostat n’était revenu à son point de départ.[…]
Après toutes ces descriptions d’appareils et ces récits, il faut conclure. Au point de vue purement mécanique, l’appareil produisant la direction des ballons nous paraît acquis, grâce aux capitaines Renard et Krebs, qui ont fait une heureuse synthèse des dispositions imaginées et employées avant eux par Giffard, Dupuy de Lôme et les frères Tissandier. Mais il importe de poser des réserves. Il importe de dire que, si l’appareil directeur est trouvé, le moteur est encore à découvrir, et que, par conséquent, le problème général de la direction des aérostats n’est point résolu.
En effet, qu’on le comprenne bien, le moteur qui actionne le ballon n’est toujours qu’un moteur dynamo-électrique, animé par une pile voltaïque. […] Le courant dure à peine 3 à 4 heures. Au bout de ce temps, toute action s’arrête : il faut descendre. […] Peut-on prendre au sérieux une puissance motrice qui dure si peu de temps? […] A ce point de vue, le moteur de Dupuy de Lôme, qui consistait simplement dans les bras de quelques ouvriers embarqués avec l’aéronaute, était supérieur au moteur électrique, simple jouet qui s’arrête, épuisé, au bout de quelques heures. Si donc l’appareil directeur des ballons est aujourd’hui trouvé, le moteur fait encore défaut, et c’est vers cet objet que devront se diriger les efforts des inventeurs.
Selon nous, un seul moteur répondrait aux conditions du problème, c’est-à-dire donnerait à la fois puissance et durée : c’est la machine à vapeur. Mais, dira-t-on, une machine à vapeur placée dans le voisinage d’un gaz inflammable, c’est un feu qui flambe près d’un baril de poudre. Nous en convenons ; mais nous savons que la chose est possible, car elle a été réalisée une fois. Personne n’ignore qu’en 1832, Giffard, avec le courage et la témérité de la jeunesse, osa
s’élancer dans les airs, sur un ballon à gaz hydrogène, qui emportait une machine à vapeur. Giffard prouva ainsi que la tentative est possible, puisqu’il sortit sain et sauf de ce périlleux essai. Il a tracé la route à ceux qui, venant après lui, et trouvant la science armée de moyens nouveaux et plus puissants, oseront attacher aux flancs d’un réservoir de gaz hydrogène un foyer en activité. […]
En Allemagne, on a proposé un aérostat mû par la vapeur, dont nous mettons la vue pittoresque sous les yeux de nos lecteurs (fig. 521). Le ballon à vapeur de M. Wolfert, dit M. S. de Drée, dans un article publié par le journal Science et Nature (1), diffère de celui des aéronautes français en ce que l’hélice de propulsion, au lieu d’être placée sous le ballon, est montée à l’avant dans un cadre en bois où elle reçoit directement du moteur à vapeur son mouvement de rotation. […]
M. Gabriel Yon, qui fut le compagnon de Giffard dans beaucoup de ses ascensions et son constructeur préféré, a donné en 1886 le plan d’un aérostat à vapeur, qui n’a pas été exécuté, mais qui mérite de figurer ici. Nous en donnons le dessin dans la figure ci-dcssus. […]
Le texte et les gravures sont extraits des merveilles de la science / Description des inventions scientifiques depuis 1870 par Louis Figuier – (supplément) / Librairie Furne / Jouvet et Cie éditeurs Paris – Source Archive.org
[…] C’est une révolution, dit M. Raoul Frary, le monde va être transformé. Remarquez d’abord que, pour la vitesse, la navigation aérienne l’emporte autant sur le chemin de fer que le chemin de fer sur la diligence. Bon gré, mal gré, il faut reprendre le banal cliché et lui donner un nouveau sens: c’est seulement aujourd’hui que les distances sont supprimées. Le tour du monde en quatre-vingt jours ne sera plus qu’une vieillerie dont on rira. Après tout, ce ce n’est pas une si grande merveille que ces chemins de fer ! Il fallait tant d’argent pour les construire, tant de charbon pour alimenter les machines. Point d’imprévu d’ailleurs: de grandes lignes inflexibles qui vous mènent toujours au même endroit, qui ne vont que dans les pays riches, que peut couper un accident, un crime, une guerre. Nous sommes à la merci des ingénieurs et des financiers. Il suffit d’une montagne trop haute, d’un fleuve trop large, d’un désert trop aride pour qu’on recule devant la dépense trop forte et le trafic trop maigre.
Les ballons vont partout; ils n’ont besoin ni de rails ni de travaux d’art. En peu d’années l’exploration du monde sera terminée. On visitera le pôle Nord, comme l’avait rêvé ce pauvre Gustave Lambert; on traversera le Sahara en quelques heures, comme Jules Verne l’imaginait pour amuser les enfants de tout âge. L’atmosphère est un océan dont la terre entière est le rivage. On partira d’où l’on voudra; on débarquera partout. Les missionnaires tomberont du ciel chez les sauvage, s’il en reste.
Le rêve des philosophes va s’accomplir: les frontières seront supprimées. Quel peuple pourra encore fermer ses ports, s’entourer d’un cordon de douaniers et de gendarmes, tenir à distance la civilisation, le progrès, la liberté ?
Ce sont les idées et les moeurs qui subiront la révolution la plus profonde: on n’agrandit pas l’empire de l’homme sans élargir son esprit. Quand les mortels commencèrent à se hasarder sur la mer, leur horizon intellectuel, jusque là borné et immobile, se déchira soudain. La vapeur accomplit en ce moment sous nos yeux une transformation pareille, dont nous avons à peine conscience. Les générations se succèdent et ne se ressemblent pas. Nos fils riront de l’étroitesse de nos vues.[…]
Extrait de l’ouvrage Les aérostats dirigeables, leur passé, leur présent, leur avenir par B. de Grilleau / E. Dentu, libraire-éditeur / Paris 1884 – Source Archive.org